Auteurs: François Brunelli et Heinz Göpfert Adaptation pour le site: Jean-Claude Michel |
Les amanites (amanita)
30ème lettre
Mon cher neveu,
Dans ma 16ème lettre, je t'ai présenté l'Amanite phalloïde en te précisant que ce champignon était le plus important à connaître absolument par tout amateur et surtout pour les mycophages. Cette affirmation a impérativement resurgi dans ma mémoire lorsque, dans le fascicule d'avril 1992, j'ai lu que la vie d'un garçon de 7 ans n'a pu être sauvée, à la suite d'un empoisonnement phalloïdien, que par une greffe du foie. Ce thème me paraît d'une telle importance que j'aimerais aujourd'hui te faire connaître la «parenté» dont cette espèce mortelle est un membre. Il s'agit des
Amanites (Amanita).
En restreignant un peu les limites du genre Amanita, soit en excluant les espèces classées autrefois dans le genre Amanitopsis, on trouve en Europe environ 30 espèces d'Amanites, parmi lesquelles j'ai sélectionné les 12 plus courantes. Elles possèdent en commun les caractères suivants:
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Un voile général entoure la totalité des jeunes carpophores.
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D'abord hémisphérique, le chapeau devient pulviné aplati avec l'âge.
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La marge est parfois nettement striée.
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Pied et chapeau sont séparables; le champignon est dit hétérogène.
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Le pied est orné d'un anneau (pendant).
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La base du pied est renflée.
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Les lames ne s'appuient pas contre le pied; elles sont fréquemment libres ou sublibres, ou bien elles ne sont que brièvement adnées.
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Les lames sont tendres et - à de rares exceptions - blanc persistant.
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La sporée est blanche, à une seule exception près.
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Les spores sont lisses.
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Les Amanites sont des espèces mycorhiziques; elles vivent dème- en symbiose avec des plantes déterminées.
Le premier de ces caractères, soit la présence du voile général, n'est pas seulement un caractère générique typique. Ce velum universale- c'est son nom scientifique- peut en effet présenter des structures différentes et laisser des traces variables en particulier à la base du pied, de telle sorte que des subdivisions du genre s'imposent presque à nous. Si j'essaie ici de te les présenter, c'est uniquement pour des raisons pratiques. Je sais fort bien que, au fond, les champignons sont simplement des individus, d'ailleurs comme tous les êtres vivants, et qu'en réalité on leur fait violence en les comprimant dans un schéma. Toute schématisation entraîne obligatoirement des modifications formelles non naturelles. Mais il faut bien adopter une systématique et je choisis pour toi le schéma proposé par le Professeur J. Schlittler (et par d'autres mycologues dont Adalbert Ricken), qui fut longtemps Directeur du Jardin Botanique de Zurich et qui a rédigé les textes des remarquables livres SILVA sur les Champignons. Il divise les Amanites selon «4 types de bulbes»: Bulbe à volve libre, Bulbe à bourrelets, Bulbe à bagues verruqueuses, Bulbe lisse.
1. Bulbe à volve libre
Le voile général des Amanites dont le bulbe est à volve libre constitue une membrane relativement solide qui entoure totalement le jeune carpophore comme une coquille d'œuf. Quand le pied s'étire en hauteur, cette membrane se déchire au pôle supérieur et le chapeau sort par cette ouverture. Puis, en s'allongeant encore, le pied surélève encore le chapeau et le voile reste alors à la base du pied qu'il enveloppe comme d'une poche qu'on nomme la volve. Il n'arrive que rarement que des portions du velum universale se déchirent et restent alors collées en larges lambeaux sur la surface du chapeau.
Outre l'Amanite phalloïde (Amanita phaloïdes, dessin No 1), on trouve encore chez nous deux autres espèces d'Amanites dont la volve est libre. L'Amanite printanière (Amanita verna, figure 1) est de taille un peu inférieure et de couleur blanche. Elle est plus fréquente en régions méridionales, elle préfère les sols calcaires et les chênaies ou les châtaigneraies. Elle présente la même toxicité que la phalloïde. Le chapeau de l'Amanite vireuse (Amanita virosa, fig. 2) est campanulé à conique, son pied est fistuleux, remarquablement long et fibrilleux. L'espèce porte bien son nom, car son odeur est forte et désagréable. Elle vient aussi bien sous feuillus que sous épicéas, même en zone subalpine. Elle est aussi toxique et mortelle. Il te semblera surprenant que, dans le voisinage de ces trois espèces hautement toxiques, on situe une espèce comestible de toute première qualité: l'Amanite des Césars (Amanita caesarea, fig.3). La chance que tu la trouves en Suisse est bien petite car son habitat préféré ce sont les forêts de chênes ou de châtaigniers de pays plus chauds. Cette espèce est facile à reconnaître à son chapeau d'un rouge lumineux, sans squames d'aucune sorte mais à marge striée, à son pied jaune, son anneau jaune, ses lames jaunes et, bien sûr, à sa large volve lobée.
2. Bulbe verruqueux
La structure et le mode de développement du voile général des Amanites pourvues d'un bulbe à bourrelets diffèrent des espèces précédentes. Le velum universale est beaucoup plus étroitement lié au champignon sous-jacent et, chez les jeunes carpophores déjà, se fractionne en nombreuses squames verruqueuses, cubiques ou pyramidales. A la base du pied, ces squames sont rangées en cercles, dessinant ainsi plusieurs ceintures superposées. Le chapeau est aussi recouvert de tels restes du voile général; lors de l'extension radiale du chapeau, ces squames y restent fixées, mais elles s'espacent mutuellement de plus en plus.
L'exemple classique d'une Amanite dont le bulbe est ainsi orné est l'Amanite tue-mouches (Amanita muscaria, dessin No 2). Bien que cette espèce soit représentée dans beaucoup de livres d'enfants et qu'elle soit donc bien connue, je rappelle pourtant ses caractères les plus importants: chapeau écarlate à orangé, parsemé de nombreux flocons blancs, à marge striée; l'adhérence des flocons est faible: ils peuvent se détacher sous la pluie ou sous nos doigts par léger frottement. Sous la cuticule, la chair est aussi orange foncé à jaune sur quelques millimètres et, plus en profondeur, elle est blanche. Lames, pied et anneau sont blancs. On trouve l'Amanite tue-mouches à tous les étages de végétation, jusqu'à la limite des forêts, aussi bien sous feuillus que sous conifères. Même si la «Fausse oronge» est le champignon-type pour bien des gens, on ne peut pas dire pour autant qu'il soit abondant partout. Il n'est pas rare que des travailleurs ou vacanciers venant de pays méridionaux confondent l'Amanite tue-mouches et l'Amanite des Césars, ce qui peut entraîner des conséquences bien désagréables. La Fausse oronge contient en effet une série de toxiques nervins qui, à hautes doses, peuvent d'ailleurs conduire au trépas. L'Amanite royale (Amanita regalis = A. muscaria var. umbrina) diffère de la tue-mouches surtout par son chapeau brun à gris-brun.
3. Bulbe à bourrelets
Le développement du voile général des Amanites de ce groupe est assez complexe. Chez les jeunes carpophores, le voile se déchire horizontalement en deux moitiés, la partie inférieure (volve) restant fixée à la base du pied. Lorsque ce dernier s'épaissit, la volve se trouve à l'étroit, la base du pied paraît entourée d'un liseré, comme si elle se trouvait étranglée dans le col d'une bouteille. Quant à la partie supérieure, elle reste fixée sous forme de nombreux flocons sur le chapeau épanoui, comme chez les Amanites à bulbe verruqueux. Toutes les espèces de ce groupe présentées ci-après sont toxiques.
L'Amanite panthère (Amanita pantherina, dessin No 3) est ornée à son bulbe d'une volve membraneuse remarquablement importante, de couleur blanche comme les flocons épars sur le chapeau brunâtre. La marge du chapeau est nettement striée. Par contre l'anneau pendant est lisse, non strié. Espèce toxique, pas vraiment fréquente, on la trouve presque sur tous terrains et aussi bien sous feuillus que sous conifères.
Un peu ressemblante, mais plus grêle est l'Amanite porphyre (Amanita porphyria, fig. 4). La marge du chapeau n'est pas striée; les flocons généralement rares sur la surface piléique, l'anneau lisse souvent fugace et le liseré étroit du bulbe sont gris violet clair. JI arrive pourtant que des individus ne correspondent pas à ce schéma: parfois la surface du chapeau ne porte pas de flocons et alors le voile général à la base du pied est bien développé et constitue une véritable volve. ·
L'Amanite citrine (Amanita citrina, fig. 5) porte bien son nom. Des formes pâles ressemblent beaucoup à l'Amanite phalloïde, mais la surface piléique porte des lambeaux floconneux plus ou moins grands, pour autant que la pluie ne les ait pas détachés. La chair sent nettement la pomme de terre crue ou la rave. Dans bien des régions, l'amanite citrine est la plus représentée du genre. Il semble, en tout cas en Suisse, qu'elle soit assez fréquente dans les pinèdes. A vrai dire, la citrine n'est pas toxique, mais le danger de confusion avec des formes phalloïdiennes est si grand- et d'autre part sa saveur et son odeur n'ont rien de gastronomique qu'il est hautement conseillé de ne pas consommer cette espèce.
4. Bulbe lisse
Les Amanites, dont la base du pied est dépourvue de volve, ou presque, forment un groupe intéressant. Elles ont bien un voile général dans leur prime jeunesse, mais on ne peut plus en voir les traces à la base du pied de nombreux carpophores - mais justement pas chez tous! - ou en tout cas ces restes y sont indistincts. Par contre, la plupart du temps, on en trouve des traces caractéristiques sur le chapeau. Tout se passe comme si le voile général se déchirait au pôle inférieur et que le chapeau l'entraînait entièrement lors de sa croissance.
Le représentant le plus fréquent de ce groupe est l'Amanite vineuse (Amanita rubescens, dessin N° 4). En allemand, l'espèce est nommée Perlpilz, peut-être parce que les fines verrues qui décorent le chapeau rappellent des perles; en tout cas le nom est joli. «Vineuse» est plus précis: chapeau et pied rougissent avec l'âge et les lames se tachent peu à peu de rouge. Mais surtout la chair rougit à la coupe, immédiatement dans le bulbe et aussi sous la cuticule. Le bulbe, un peu ovoïde, est en général lisse ou, parfois, orné de légers cernes circulaires marquant des traces de volve. L'Amanite épaisse (Amanita spissa, fig. 6) est une espèce grise, plus ou moins sosie de la toxique Amanite panthère. Les caractères suivants la différencient:
Les squames du chapeau sont grises (et non blanches!) et son aspect est plus trapu; de plus, la marge n'est pas striée, alors que son anneau est joliment strié. La base du pied, comme pour l'Amanite vineuse, est presque lisse ou à peine marquée de quelques restes floconneux. Cette espèce est relativement fréquente; comestible, elle ne devrait pourtant être récoltée à des fins culinaires que par les connaisseurs expérimentés. Beaucoup plus rare dans nos régions est l'Amanite à chapeau épineux (Amanita echinocephala, fig. 7), une belle espèce généralement blanche, dont le chapeau est vraiment orné de verrues coniques pointues. Elle sort du lot car ses lames ont des reflets vert tendre ou bien elles sont franchement jaune-vert. Les spores sont aussi faiblement verdâtres. Le bulbe est ovoïde et généralement lisse; mais il n'est pas rare qu'il soit visiblement verruqueux, raison pour laquelle on pourrait tout aussi bien classer cette espèce dans le groupe précédent. Très belle et de plus souvent spectaculaire par sa très grande taille est l'Amanite pomme de pin ou solitaire (Amanita strobiliformis, fig. 8). Il m'est arrivé, dans un terrain sablonneux d'une forêt riveraine, essentiellement de peupliers et de saules, de voir plusieurs sujets dont le diamètre dépassait les 25 cm, la hauteur environ 30 cm et le diamètre du pied plus de 4 cm! Le chapeau est blanc sale, il est parsemé de très grosses verrues épaisses, grises et anguleuses; la marge est appendiculée de flocons fibrilleux. Le pied est aussi blanchâtre, long, à base ovoïde et profondément radicante. J'ai observé de très beaux sujets par temps très sec: c'était la seule espèce présente le long de la rivière et la chose m'avait intrigué; en creusant soigneusement, j'ai pu obtenir une fausse «racine» plongeant dans le limon à une profondeur de 25 cm (!): le mycélium s'était donc développé dans une couche très humide, vers 30 à 40 cm de profondeur. Souvent, aucun reste de voile n'est décelable à la base du pied, d'où le classement de cette espèce dans ce quatrième groupe. Mais on voit aussi des carpophores qui ne respectent en rien notre systématique et dont le bulbe est verruqueux, voire nettement orné de bourrelets.
Comme je te l'ai précisé au début de ma lettre, le genre Amanita inclut aujourd'hui les espèces classées autrefois dans le genre Amanitopis (= qui ressemble aux Amanita) dont la volve engainante est remarquable; dans la famille des Amanitaceae sont aussi classées les Limacelles (Limacella): je pourrais t'en parler dans une prochaine lettre. En attendant, tu as le bonjour de
Tonton Marcel