Association suisse des organes officiels de contrôle des champignons

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  Auteurs: François Brunelli et Heinz Göpfert
  Adaptation pour le site: Jean-Claude Michel

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39ème lettre

Les Gastéromycètes (8): Phallales (Phallacées, Clathracées)

Il faut que je tienne ma promesse: te faire une surprise, à propos de propagation des spores, concernant un dernier groupe de Gastéromycètes (lettre No 37). Je commencerai par te raconter brièvement deux faits vécus. Voyageant en voiture, en plein mois de juillet, sur des routes secondaires bretonnes, j'avais baissé les vitres latérales pour créer un semblant de fraîcheur pour moi-même et pour mes passagers. Traversant une forêt domaniale nous avons dû en toute hâte les remonter, une puanteur cadavérique envahissant notre habitacle. Mon épouse pensa qu'une charogne devait pourrir quelque part sur les bas-côtés de la route. Je lui ai prouvé le lendemain qu'il s'agissait plutôt de champignons: elle reconnut rapidement l'odeur pestilentielle inhalée la veille lorsque j'entrouvris sous son nez le bocal de verre où j'avais logé deux exemplaires frais et mûrs de Satyre puant. Quelques années plus tôt, herborisant dans un bois de feuillus en Savoie, j'avais récolté deux «œufs» de la même espèce (je t'en ferai plus loin une description), mais je n'avais pas de bocal protecteur. Mon intention était simplement de montrer, à mon retour, ces «œufs du diable» aux collègues de ma société; je les avais simplement déposés dans mon panier, en compagnie d'autres champignons intéressants. Environ trois heures plus tard, regagnant notre voiture après un court arrêt-buffet, nous perçûmes une odeur nauséabonde qui avait «embaumé» tout le véhicule: Dans le coffre, les «œufs» avaient éclaté; deux Satyres puants s'étaient allongés et avaient mûri comme en pleine nature. Nous avons immédiatement et soigneusement emballé ces champignons dans une double feuille d'aluminium et nous roulâmes quelques kilomètres en laissant toutes fenêtres ouvertes ...

Les Gastéromycètes (8): Phallales (Phallacées, Clathracées)
L'ordre des Phallales comprend des champignons aux formes variées, souvent extravagantes et de toute beauté, «parmi les plus belles et les plus curieuses qu'un mycologue puisse rencontrer dans sa vie» écrit J. Mornand; la plupart des espèces dégagent une odeur repoussante dès leur maturité; les spores se développent dans une masse gélatineuse et déliquescente; leur propagation est assurée par les mouches à viande, qui sont attirées par l'odeur pestilentielle et qui sucent avec avidité et en troupes denses la matière déliquescente; les spores, aspirées en même temps, seront disséminées plus loin avec les chiures, ce qui permet la pérennité des espèces. Je te présente ci-après quelques espèces, que tu peux éventuellement trouver dans tes herborisations, de ces «beautés puantes».

Le Phalle impudique ou Satyre puant (Phallus impudicus) [image 1] est probablement l'espèce que tu auras le plus de chance de rencontrer. Au début, c'est une boule ovoïde, molle, lisse et blanche, un «œuf» (nommé en allemand Hexenei, œuf de sorcière) ayant jusqu'à 6 cm de haut et 5 cm de large. A ce stade, le champignon ne dégage aucune odeur particulière; on trouve à sa base des cordons mycéliens blancs. En coupant cet œuf en deux, on constate qu'il est structuré comme d'autres Gastérales: un péridium à trois couches (un mince exopéridium plus ou moins membraneux, un large mésopéridium gélatineux brunâtre pâle et un mince endopéridium membraneux), une gléba verdâtre recouvrant un réceptacle blanc, en forme d'amande évidée, ce réceptacle devenant plus tard le pied du champignon développé. Bientôt le péridium se déchire en deux ou trois lobes, formant une volve à la base du pied blanc qui s'étire et peut atteindre 15-20-(25) cm de haut; celui-ci, bien que rigide, est creux et troué d'innombrables petites cavités, comme une éponge; il est un peu étréci en haut et coiffé d'un chapeau en forme de dé percé au sommet et recouvert de la gléba vert foncé; le champignon ressemble alors ... à ce que tu penses (et que désigne son nom), et il commence à exhaler son odeur putride; des nuées de mouches viennent se gorger à la fois de la gléba qui se liquéfie et des spores parvenues à maturité. Une fois cet hyménium consommé, l'odeur repoussante disparaît (certains auteurs lui trouvent alors une odeur de jasmin qui, à l'expérience, ne me semble pas correspondre à la réalité) et il reste une «tête» alvéolée qui simule un peu une morille blanche, ce qui a fait donner aussi à l'espèce le nom de «Morille du diable » (dans la littérature en allemand, on parle de «Stinkmorchel»). Deux remarques encore: sachant que des mycophages invétérés consomment parfois ce champignon à l'état d'œuf, j'ai osé mastiquer un petit morceau du futur pied et lui ai trouvé une saveur raphanoïde; bien qu'il s'agisse d'un basidiomycète, j'ai été incapable d'y individualiser une baside (essai d'observation avant la liquéfaction de la gléba), mais il est aisé d'observer des spores ellipsoïdales à cylindriques d'environ 4 X 1,5 µm. Enfin, cette espèce semble préférer les bois sablonneux, en particulier sous les hêtres, mais aussi sous conifères.

Une espèce ressemblante, qui diffère de la précédente par une volve rose lilas fortement plissée, par un mycélium et des rhizomorphes rouges, ainsi que par des «œufs» piriformes groupés en nids, est le Phalle impérial (Phallus hadriani) [image 3]; elle est plus rare, son odeur est moins désagréable et on peut la rencontrer en des stations analogues ou en terrains cultivés. Peut-être auras-tu l'occasion de rencontrer - je n'ai vu ce champignon qu'en photo - le Phalle à dentelle (Phallus duplicatus = Dictyophora duplicata) [image 2] qui serait un sosie du précédent s'il n'était orné, au-dessous du chapeau, d'une jupette de dentelle rose pâle du plus bel effet décoratif. La littérature dit que cette espèce est fréquente en Amérique du Nord: y a-t-elle été importée par quelque dentelière st-galloise émigrée?

Les Phallacées comptent un second genre, dont les basidiomes sont un peu des miniatures des précédents; mais il y a une autre différence: il n'y a pas de chapeau; la gléba recouvre simplement une partie du haut du pied. Le Satyre des chiens (Mutinus caninus) [image 4] moins commun que le Phalle impudique, ne me semble pas si rare en Suisse et j'y connais plusieurs stations où il apparaît assez régulièrement. Prolongé à la base par de nombreux cordons mycéliens, le pied ocracé rougeâtre ne dépasse guère 15 cm de longueur et 5 à 10 mm d'épaisseur; creux et criblé de trous, il est souvent couché sur le sol, comme s'il n'avait pas la force de se tenir debout. La couche hyméniale verdâtre et déliquescente sent très mauvais, moins tout de même que le Phallus impudicus; elle est nettement délimitée de la partie stérile. Après le repas des mouches, la couche sous-hyméniale apparaît d'un joli rose rougeâtre. Venant surtout sous hêtres et chênes, le Satyre des chiens se trouve surtout sur vieilles souches pourries, parfois en colonie de nombreux individus. Je n'ai vu qu'une fois, dans le nord de l'Italie, le Satyre élégant (Mutinus elegans) [image 5]. Il est plus trapu, son pied pouvant atteindre un diamètre de 25 mm; mais son caractère principal est que la gléba, peu abondante, forme des traînées éparses sur toute la hauteur du pied. Cette rare espèce a été trouvée en Suisse méridionale.

J'en viens maintenant à trois espèces de Clathracées: ce sont probablement les plus beaux et les plus étranges champignons du règne fongique. Dès qu'une fois on en a vu une image, ils seront immédiatement reconnaissables sur le terrain. Le Clathre rouge (Ciathrus ruber) [image 6] est d'abord un gros œuf à peu près sphérique, dont la surface blanchâtre est marquée de plis dessinant des mailles. Ouvert, déposé dans une volve gélatineuse, il prend la forme d'un grillage ovoïde à larges mailles un peu anguleuses, gros comme le poing, extérieurement d'un beau rouge corail, l'intérieur du réseau étant irrégulièrement tapissé de la gléba d'abord verte puis olivacée noirâtre. Cette étrange et belle forme aurait certainement inspiré le célèbre Léonard de Vinci. A ce stade, on pourrait imaginer un spectacle nocturne magnifique en introduisant au centre de quelques champignons une source lumineuse: une idée originale pour des lampions du premier août? Comme chez les Satyres, la gléba est malodorante et les mouches, toujours elles, s'en délectent en pénétrant dans la cage. Cette belle architecture s'effondre assez rapidement; si tu rencontres un jour un œuf de Clathre, suis le conseil que m'a donné un ami mycologue français: dépose-le dans une boîte en plastique assez haute, mets le tout au frigo et attends un peu; le grillage va s'épanouir et restera plus longtemps dressé et magnifique. N'oublie pas d'en faire une photo-souvenir.

Le Clathre lanterne (Colus hirundinosus) [image 7] ressemble au précédent, mais il est courtement stipité; d'abord en forme de petit œuf, il fait irrésistiblement penser à une lanterne - qu'auraient pu utiliser comme telle les nains de Blanche Neige, si Grimm avait été mycologue - lorsqu'il s'épanouit. Le sommet de la fructification, troué d'une grosse dizaine de petites ouvertures polygonales, se prolonge vers le bas par des bras allongés, ridés transversalement, de couleur vermillon en haut, plus pâles en direction du pied court niché dans la volve blanche. La gléba olivâtre et malodorante tapisse l'intérieur des bras. Il s'agit ici d'une espèce méditerranéenne, mais elle a été récoltée par le mycologue tessinois Carlo Benzoni au Tessin, en 1943, sous un bougainvillier.

L'Anthurus d'Archer (Anthurus archeri) [image 8] a fait l'objet de nombreuses publications, concernant surtout l'histoire de son introduction en Europe. Mais je commence par une description succincte. Comme chez les autres Phallales, les jeunes fructifications ont une forme sphérique à ovoïde, de 3 à 5 cm de diamètre, avec un exopéridium blanchâtre; en coupant cet œuf horizontalement vers l'équateur, on distingue nettement une épaisse couche gélatineuse jaune verdâtre entourant une masse vert pomme avec 4 à 6 plages d'un joli rose: comme une fleur à pétales roses sur un calice vert. Puis l'œuf s'ouvre, le péridium formant une volve, et de longues lanières rouge pourpre s'étirent à la façon des bras d'une étoile de mer. Ces lanières sont pointues, molles, retombantes, au nombre de 4 à 6, gluantes et fétides, la gléba gélatineuse étant dispersée en taches vert foncé noirâtre tout au long de la surface supérieure des bras. La beauté de cette étoile est très éphémère et le champignon se décompose très rapidement. L'Anthurus d'Archer est un champignon de l'hémisphère sud, bien connu en Australie, en Nouvelle Zélande, en Afrique et en Amérique du Sud. Et voilà qu'en 1920 on montre au mycologue français bien connu René Maire des Anthurus récoltés dans les Vosges ! Très vite, notre champignon se répandra dans tout le nord de la France, puis on le trouvera en Allemagne le long du Rhin, en Autriche, en Suisse, en Italie et dans le midi de la France. Comment donc était-il arrivé dans les Vosges? On a écrit qu'il avait été importé à la fin de la guerre de 14-18 par des soldats australiens ou néo-zélandais. Plus vraisemblablement, des spores d'Anthurus sont parvenues en Europe dans les ballots de laine importée d'Australie par une filature vosgienne très proche de la première station découverte en 1920, d'autant qu'en 1953 une nouvelle zone de répartition est apparue autour de Bordeaux: à cette date, on déchargeait dans son port - et encore aujourd'hui, d'ailleurs - de la laine australienne ... et non des soldats de là-bas.

Je mets ici un terme au chapitre des Gastéromycètes. Si tu travailles bien, tu en sauras bientôt plus que moi. C'est ce que je te souhaite, mon cher neveu, avec le bonjour de

Tonton Marcel

 

 

1. Phallus impudicus / Satyres puants à l'état d'oeufs 2. Anthurus archeri / Anthurus d'Archer
3. Anthurus archeri / Anthurus d'Archer 4. Mutinus elegans / Satyre élégant
 
5. Dictyophora indusiata / Phalle à dentelle (tropical)  6. Colus hirundinosus / Clathre lanterne
 
7. Mutinus caninus / Satyre des chiens  8. Clathrus ruber / Clathre rouge

Lettres précédentes sur les Gastéromycètes:

Lettre 22 - Les Gastéromycètes (1) - Généralités et terminologie)
Lettre 23 - Les Gastéromycètes (2) - Généralités et terminologie)
Lettre 27 - Les Gastéromycètes (3) - Bovistes et Lycoperdons
Lettre 28 - Les Gastéromycètes (4) - Bovistes et Lycoperdons (2)
Lettre 34 - Les Gastéromycètes (5) - Lycoperdales (Geastraceae)
Lettre 36 - Les Gastéromycètes (6): Tulostomatales- Nidulariales
Lettre 37 - Les Gastéromycètes (7) : Sclérodermatales (Astraeaceae, Sclerodermataceae, Sphaerobolaceae)

Clé de détermination de Lycoperdons et Sclérodermes